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DOSSIER (1/2) : Quel futur avion de combat pour la Suisse ?

DOSSIER (1/2) : Quel futur avion de combat pour la Suisse ?

Après les longues péripéties qui ont conduit à l'annulation de l'achat d'un nouvel avion de combat (Gripen E/F de Saab) à la suite d'un référendum en mai 2014, la Suisse a décidé de relancer un processus de sélection afin de doter ses Forces aériennes avec un nouvel avion de combat pouvant remplacer ses vieillissants F-5E/F Tiger II et F/A-18C/D Hornet. C’est dans ce cadre là que le Département fédéral de la Défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) a annoncé, le 8 novembre 2017, que « le Conseil fédéral venait de prendre des décisions de principe concernant le renouvellement des moyens de protection de l’espace aérien suisse ».

Cette compétition entre les avionneurs américains et européens est aujourd’hui pleinement lancée puisqu’entre le mois d’avril et juin 2019, tous les compétiteurs vont se rendre à tour de rôle sur la base aérienne de Payerne, située dans l’ouest de la Suisse, sur les bords du lac de Neuchâtel.

Defens’Aero était sur place, au plus près des acteurs, et vous propose de revenir sur ces essais, et plus largement sur l’ensemble du programme suisse « Air2030 – Protection de l’espace aérien ». La première partie de ce dossier a pour but de présenter les différentes étapes du processus de sélection, les spécificités de ce contrat et de faire un point sur les Forces aériennes suisses et leurs lacunes. La deuxième partie sera exclusivement consacrée aux essais du Rafale et à l'offre proposée à la Suisse par le GIE Rafale International.
 

Les cinq appareils (Super Hornet, F-35A, Gripen, Rafale et Eurofighter) engagés dans cette compétition.

Les cinq appareils (Super Hornet, F-35A, Gripen, Rafale et Eurofighter) engagés dans cette compétition.

1. Un processus long et complexe 

Avec l’arrêt de l’achat d’un nouvel avion de combat en 2014, les Forces aériennes suisses se sont retrouvées dans une situation délicate et contraignante : Poursuivre les missions de formation, les missions opérationnelles et étendre les heures d’ouverture de la police du ciel avec une flotte de F-5E/F Tiger II et de F/A-18C/D Hornet vieillissante, dépassée technologiquement et à bout de souffle.

Ce n’est que deux ans plus tard que Berne décide de se relancer officiellement dans un processus d’acquisition d’un nouvel avion de combat. Tout débute le 24 février 2016 lorsque le DDPS informe le Conseil fédéral sur les travaux préparatoires à venir concernant ce projet. Le Conseil fédéral « est l’autorité directoriale et exécutive suprême de la Confédération ». Autrement dit, c’est l’organe exécutif de la Confédération suisse. Il a pour rôle, entre autres, de s’occuper des affaires qui émanent du domaine de la Défense, d’où son implication dans ce processus. Au cours des mois qui vont suivre, des experts (représentants du Secrétariat général du DDPS, de l’armée et d’Armasuisse) vont se réunir pour faire un point sur l’état des Forces aériennes suisses, le développement de ces dernières à moyen et long terme et ainsi définir ses besoins et les différentes possibilités qu’elles ont pour y répondre. Ce rapport, composé de 200 pages, a été publié le 30 mai 2017.

C’est à la suite de cela que les choses vont véritablement évoluer et que la « machine » va être lancée. Le 8 novembre 2017, les Forces aériennes suisses publient un communiqué de presse où il est expliqué que « le Conseil fédéral a pris des décisions de principe concernant le renouvellement des moyens de protection de l’espace aérien suisse ». Il est ainsi annoncé que Berne prévoit « d’acquérir de nouveaux avions de combat ainsi qu’un nouveau système de défense sol-air, pour un coût maximal de 8 milliards de francs » (soit environ 7 milliards d’euros).

Cette enveloppe budgétaire s’accompagne également d’une augmentation du budget accordé aux forces armées suisses puisque d’autres programmes de modernisation sont également en cours, notamment au sein des Forces terrestres. L’accumulation de ces programmes fait qu’entre 2023 et 2032, la Suisse va y consacrer entre 15 et 16 milliards de francs suisses. Avec un budget annuel de 5 milliards de francs, les forces armées suisses vont ajouter 1 milliard aux programmes d’armement. En parallèle, le Conseil fédéral a pris la décision d’augmenter le budget de la Défense avec « un taux de croissance annuel d’environ 1,4 % ». Il est toutefois exprimé par le DDPS que « l’armée devra en outre stabiliser ses frais de fonctionnement de manière à ce que la majeure partie des moyens liés à cette croissance puissent être affectés à l’armement ».

Toujours en ce qui concerne le volet financier, la décision de principe prise par le Conseil fédéral exige également que les avionneurs engagés dans la compétition compensent « la valeur d’un contrat par des commandes passées à l’industrie suisse ». « De telles commandes servent l’économie de notre pays, favorisent la création de places de travail et permettent aux entreprises helvétiques de rester à la pointe de la technologie », justifie le DDPS.

Lors de la publication de la décision de principe, le DDPS avait trois possibilités différentes pour procéder à l'évaluation et l'achat d’un nouvel avion de combat. La première solution consistait à prendre un « arrêté de planification » en s'appuyant sur une série de lois et d'articles qui émanent du Parlement. Ce dernier devait « préciser le but du renouvellement et expliquer pourquoi celui-ci nécessite de combiner avions de combat et système de défense sol-air. Il [devait] aussi fixer le cadre financier à 8 milliards de francs. Cet arrêté [était] soumis au référendum facultatif ». La deuxième solution était « une révision de la loi sur l’armée, en insérant un nouvel article décrivant la protection de l’espace aérien et les moyens requis », avec la possibilité ici aussi d'établir un référendum. Enfin, la troisième et dernière démarche était « la voie habituelle par le biais du message sur l’armée ». Le message annuel sur l'armée « à l'intention du Parlement comprend les arrêtés fédéraux concernant le programme d’armement et le programme immobilier du DDPS ».

Le 9 mars 2018, le Conseil fédéral choisit la première solution, via un arrêté de planification. Cette solution est adoptée parce qu’il s’agit ici « d’un point essentiel de la politique de sécurité » de la Suisse, que ce mode de fonctionnement a déjà été utilisé pour l’acquisition des Hornet en 1993 et la tentative d’achat des Gripen en 2014, c’est en réponse à une demande du Parlement et enfin, il s’agit aussi de « respecter l’esprit démocratique suisse », explique le DDPS. Si le Parlement confirme ce choix et approuve cet arrêté, celui-ci pourra faire l’objet d’un référendum auprès des citoyens suisses. Si un référendum doit se tenir, il sera organisé, au plus tard, en 2020, puisque c’est au cours de cette période que le vainqueur de la compétition doit être désigné.

Le 6 juillet 2018, une nouvelle étape est franchie avec l’envoi par Armasuisse (office fédéral des marchés publics de la défense) d’une demande d’offre à cinq constructeurs aéronautiques. Ces demandes ont été transmises à Boeing avec le F/A-18E/F Super Hornet Block III, à Lockheed Martin avec le F-35A Lightning II, Airbus Defence & Space avec l'Eurofighter Typhoon (ici vendu par l'Allemagne), Saab avec le JAS-39E/F Gripen et enfin Dassault Aviation avec le Rafale C/B au standard F3-R.

Les offres doivent contenir, entre autres, « le calcul du nombre d’avions requis selon le constructeur pour accomplir les missions de l’armée de l’air suisse (et notamment de faire voler quatre avions en permanence pendant quatre semaines) », le « prix pour 40 et 30 avions, frais logistiques et engins guidés », des « informations et propositions de coopération entre forces armées et autorités de passation des marchés » ainsi que des « indications quant à la possibilité de compensations ».

Ces dossiers réceptionnés par la Suisse, ils sont évalués en fonction de quatre critères principaux. Le premier point, qui compte pour 55% de l'évaluation, se focalisera sur « l'efficacité (opérationnelle, autonomie) ». Le second volet, pour 25%, prendra en compte « l'assistance produit (facilité d’entretien, autonomie dans l’assistance) ». Enfin, sera aussi étudié la « coopération » (10%) et les « compensations directes » (10%). Outre les capacités propres de chaque avion, cette compétition doit aussi prendre en compte le coût d'achat et l’entretien.

Six mois plus tard, en janvier 2019, les cinq candidats ont répondu présents à la compétition en transmettant leur proposition. Ces réponses permettent aux experts d’Armasuisse de débuter la phase d’analyse et d’essais des offres et des avions de combat. Ainsi, entre février et mars 2019, les spécialistes d’Armasuisse se sont rendus chez les constructeurs afin de tester les appareils sur simulateur et de procéder à des audits. Ces derniers, réalisés par la force aérienne du pays qui utilise l’avion, ont pour objectif de présenter « l’exploitation et la maintenance des avions ainsi que le déroulement de la formation » et d’étudier les réponses des fabricants aux questions posées par Armasuisse dans le dossier à renvoyer. La seconde partie de cette phase prévoit donc des essais en vol de tous les avions de combat depuis Payerne, entre avril et mai 2019.

A partir de l’étude des réponses apportées par les avionneurs, des observations effectuées chez les constructeurs et des analyses des essais en vol, Armasuisse doit renvoyer une deuxième demandes d’offres aux candidats en novembre 2019. Les réponses à ces demandes devront être données, au plus tard, en mai 2020. En suivant, au cours du second semestre 2020, les différents rapports seront analysés et comparés. Par la suite, avant fin 2021, le Conseil fédéral rendra son avis quant au choix de l’appareil et du constructeur sélectionné, tandis que des délibérations se tiendront au Parlement et qu’un référendum pourra être organisé. En 2022, lors du message annuel sur l’armée, le projet d’acquisition sera soumis au Parlement suisse. S’il est accepté, les premières livraisons devraient alors se faire en 2025.

© USAF - Un Hornet suisse, ici lors d'une démonstration aérienne au RIAT.

© USAF - Un Hornet suisse, ici lors d'une démonstration aérienne au RIAT.

2. Comment se déroule l’évaluation ?

L’évaluation d’un avion de combat engage plusieurs acteurs qui ont, chacun dans leur domaine et à leur niveau, une part non négligeable dans la sélection du futur avion de chasse en exprimant leurs avis, leurs besoins, leurs contraintes, etc… Trois grands acteurs donnent leur avis dans ce contrat : L’Etat-major de l’armée détermine les besoins de base au niveau opérationnel et pose une vue d’ensemble du projet, Armasuisse procède à l’évaluation, l’acquisition et l’introduction dans les forces, tandis que les instances politiques décident des crédits et du financement.

Avant de rendre son choix final, la Suisse se base sur de nombreux facteurs, avec notamment des aspects militaires, techniques, logistiques, commerciaux et environnementaux, ainsi que des facteurs politiques puisqu’il faut prendre en compte les aspects financiers, sécuritaires, industriels et les relations avec les pays lancés dans la compétition.

Dans tous les cas, c’est le choix politique qui prime. Ainsi, comme le souligne le rapport, « le chef du DDPS et le Conseil fédéral ont la liberté, sur la base de telles considérations, de ne pas choisir obligatoirement le système le plus approprié sur le plan technique et militaire, mais celui qui offre le plus d’avantages pour la Suisse d’un point de vue global ».

L’évaluation de l’avion de combat en lui-même se décompte en deux étapes :

  1. La première, avec une évaluation technique et opérationnelle qui comprend le mandat de projet, les exigences détaillées, les essais, les négociations, l’aptitude d’emploi par la troupe, le choix du type d’avion, la maturité d’acquisition (négociation du prix) et le message au Parlement.
  2. La seconde, avec une appréciation politique, qui comprend des discussions, des analyses et des débats au sein du Conseil Fédéral et du Parlement.

L’évaluation technique et opérationnelle est une partie importante pour les candidats puisque c’est à ce moment là qu’ils vont devoir convaincre les décideurs suisses en mettant en avant les capacités de l’avion (performances en vol, armements, systèmes de bord, capteurs, …), les possibilités de coopération avec les forces armées également équipées de l’appareil (espace aérien de travail commun, formation et entraînement conjoint des aviateurs, champs de tirs à disponibilité…), ainsi que les affaires compensatoires (ou offset) pour l’industrie suisse.

Concernant les offset, il est important de souligner qu’il existe deux types :

  1. Les affaires compensatoires directes : L’entreprise suisse construit des composants sous licence globale ou partielle de l’avion. Cela permet notamment à Berne d’asseoir son indépendance en matière d’approvisionnement et de renforcer son industrie aéronautique suisse.
  2. Les affaires compensatoires indirectes : Elles ne sont pas directement liées au contrat sur l’achat de l’avion de combat, et peuvent prendre plusieurs formes dans d’autres domaines (automobile, échanges commerciaux, etc…).

Lors des précédents appels d’offres, notamment avec les F-5 Tiger II, F/A-18 Hornet, chars Leopard II, etc… la Suisse a toujours négocié avec des offset et cela lui a été bénéfique. Dans le cadre de l’acquisition des Hornet, la Suisse a ainsi pu produire des pièces (ailes, réservoirs, dérives, empennages, train avant, roues, freins, composants moteur et une partie de l’avionique) qui ont été produites pour les F-18 suisses et d’autres vendues à l’US Navy. La sous-traitance de certains travaux a permis de faire fonctionner une cinquantaine d’entreprises. Enfin, la Suisse avait une meilleure connaissance de ses avions et a ainsi pu améliorer la disponibilité de sa flotte et obtenir une certaine autonomie en matière d’approvisionnement. Dans le cadre de ce contrat, les offset doivent se répartir de cette façon : 65% pour les entreprises en suisse allemande, 30% pour la suisse romande et 5% pour la partie italophone.

Les derniers rapports d’experts remis début mai 2019 à la conseillère fédérale Viola Amherd indiquent que « des affaires compensatoires directes de l’ordre de 20 % et des affaires compensatoires indirectes de l’ordre de 40 % destinées à la technologie et à l’industrie de sécurité sont davantage réalistes », plutôt que des affaires compensatoires qui soient à 100% du contrat d’achat signé.

L’ensemble de cette évaluation est transcrit dans un rapport qui est rédigé par l’équipe d’évaluation et sous la direction d’Armasuisse et où tous les candidats sont comparés suivant les critères établis. Ce rapport est remis au chef du DDPS et comprend la soumission par les Forces de l’avion sélectionné. Le chef du DDPS soumet alors l’avion et les crédits nécessaires au Conseil fédéral, qui le transmet également aux Chambres. C’est à la suite de cela que les crédits sont libérés, le contrat d’acquisition officiellement signé et que l’avionneur peut débuter la production des avions.

A tour de rôle, entre avril et juin 2019, les candidats sont évalués depuis la base de Payerne, où ils sont déployés pendant deux semaines. Par ordre alphabétique du constructeur, l’Eurofighter Typhoon est le premier à être évalué, suivi par le F/A-18E/F Super Hornet, le Rafale F3-R, le F-35A Lightning II et le JAS-39E/F Gripen.

Au cours de ces essais, il est vérifié le bon fonctionnement des capteurs des avions dans l'environnement suisse, la compatibilité avec les systèmes militaires suisses, le degré de maturité de l'avion et des mesures d'émission de bruit sont faites depuis plusieurs bases. Un total de 8 missions sont programmées pour tous les concurrents, dont une de nuit. 5 missions sont axées sur les aspects opérationnels, 2 sur les aspects techniques et une dernière à contenu libre.

Ils devront démontrer au cours de ces vols, avec des pilotes suisses en place arrière pour les appareils biplaces (tous sauf le F-35A), toutes les capacités de l'avion. Du combat aérien rapproché et à longue distance est notamment programmé, avec des combats aérien qui opposent parfois 8 F-18 et F-5 contre l’avion testé.

© VBS / DDPS - Un F-5E Tiger II suisse lors d'une mission d'entraînement dans le fond d'une vallée.

© VBS / DDPS - Un F-5E Tiger II suisse lors d'une mission d'entraînement dans le fond d'une vallée.

3. Les Forces aériennes suisses aujourd’hui

En temps de paix, les Forces aériennes suisses ont pour mission d'assurer des missions de transport aérien et d'assistance avec la permanence opérationnelle. Lors de tensions, elles sont chargées de faire respecter la souveraineté de l'espace aérien et de conduire des missions de reconnaissance. Enfin, en temps de guerre, elles appuient les troupes terrestres et empêchent la supériorité aérienne adverse.

Etant donné qu’il est question ici du remplacement des avions de combat des Forces aériennes suisses, nous n’évoquerons que l'état des flottes de F-5E/F Tiger II et F/A-18C/D Hornet et mettrons volontairement de côté le reste des flottes (avions d’entraînement, drones, hélicoptères, avions de transport et de liaison…).

A. Les F-5E/F Tiger II 

Les Tiger II ont été commandés par la Suisse lors de deux processus d’acquisition différents, en 1976 et 1981. Un total de 110 exemplaires vont être commandés auprès de Northrop Grumman, constructeur de l’appareil. La plus grosse commande se fera en 1976 puisqu’à cette date, après le retrait des Venom, Berne achètera 66 appareils monoplaces (F-5E) et 6 biplaces (F-5F). La seconde commande verra l’achat de 32 monoplaces et de 6 autres biplaces.

Lors de l’arrivée des avions en Suisse dans les années 70 et 80, les Tiger monoplaces vont être utilisés pour effectuer des missions opérationnelles, dont notamment de la défense aérienne, de la permanence opérationnelle (ou « police du ciel ») et de l’appui aérien au profit des troupes au sol. De leur côté, les Tiger biplaces vont être principalement mis en oeuvre pour assurer des missions d’entraînement et de formation des jeunes équipages navigants.

Après une décision prise en février 2018, les Forces aériennes retirent petit à petit les derniers Tiger encore en service. A ce jour, il ne reste plus que 26 F-5E/F Tiger II opérationnels. Ces appareils ne servent plus qu’à assurer des missions d’entraînement et « Aggressors » au profit des unités de Hornet, des missions de surveillance des taux de radioactivité et au bon fonctionnement de la Patrouille Suisse. Les missions de formation ont été reprises par les PC-7 et PC-21 puisque la dernière promotion à être formée sur Tiger le sera en 2016.

Le retrait des F-5E/F s’explique pour plusieurs raisons. La première vient du fait que ces appareils sont aujourd’hui vieillissants et que leurs cellules sont fatiguées. A plusieurs reprises, les Forces aériennes suisses ont été obligées de clouer au sol temporairement la flotte des Tiger E/F en raison de problèmes. La seconde raison est liée au fait que ces appareils ont des systèmes embarqués et des armements qui sont dépassés et inadaptés face aux menaces de ce siècle. A titre d’exemple, les radars des F-5E/F ont des performances très limitées puisqu’ils ne peuvent opérer et effectuer des missions de défense aérienne que par beau temps et de jour. Pour information, les Tiger II sont armés par 2 canons internes de 20mm et 2 missiles air-air à courte portée et guidage infrarouge AIM-9P, une version aux performances dégradées de l’AIM-9L, utilisé par l’US Air Force.

Au cours de leur service, dix F-5E Tiger II seront perdus par les Forces aériennes suisses, dont le dernier le 9 juin 2016 lorsque deux appareils de la Patrouille Suisse se sont percutés en vol lors d’un entraînement à Leeuwarden, aux Pays-Bas.

B. Les F/A-18C/D Hornet

Le F/A-18C/D Hornet entre en service en Suisse en 1997 alors que la livraison du premier appareil intervient en octobre 1996 lors de sa sortie des chaînes d’assemblage de RUAG Aviation, à Emmen. Assemblés sous licence en Suisse, les livraisons se poursuivront jusqu’à la fin de l’année 1999. 26 monoplaces (F/A-18C) et 8 biplaces (F/A-18D) vont être commandés, soit un total de 34 avions. Le Fliegerstaffel (Staffel, escadrille) 17 est le premier à recevoir ses Hornet en juin 1997 pour être opérationnel à la fin de la même année. Il sera suivi par le Staffel 18 en 1998 et le Staffel 11 en 1999.

Le Hornet a été acquis par la Suisse afin de renforcer et de moderniser ses Forces aériennes. Après plusieurs modernisations, dont l’installation de la liaison de donnée L16 pour opérer avec des forces aériennes alliées, il est encore aujourd’hui l’épine dorsale de la flotte de combat puisqu’il est capable d’opérer de jour comme de nuit, par beau et mauvais temps, et d’employer des missiles à courte, moyenne et longue portée. Les Hornet suisses sont équipés de l’APG-73, du canon interne M61A1 de 20mm, de 2 missiles air-air infrarouges AIM-9X Sidewinder, de 4 missiles air-air AIM-120B AMRAAM, d’une nacelle de contre-mesures électroniques et de la nacelle AN/ASQ-228 ATFLIR (Advanced Targeting Forward-Looking Infrared). Si le Hornet est capable d’assurer des missions air-sol, les Forces aériennes ne les utilisent pas pour ce type de mission.

Le Hornet reste aujourd’hui encore le principal vecteur des Forces aériennes, mais de nombreuses problématiques touchent cette flotte : la fin de vie de ces avions approche, la flotte (30 machines en service) est insuffisante pour assurer la supériorité aérienne en temps de guerre et le système d’armes commence à être dépassé face aux nouvelles technologies et aux avions de nouvelle génération.

En ce qui concerne le potentiel d’heures de vol, il faut savoir que les Hornet suisse disposent d’une durée de vie de 5 000 heures de vol chacun. Le rapport du groupe d’experts suisses sur le prochain avion de combat explique que les Hornet « assument pratiquement le double de la charge des F/A18 de la plupart des autres forces aériennes qui exploitent cet avion. Cela tient, pour une part, aux distances très courtes qui séparent les bases aériennes des secteurs d’engagement ou d’entraînement en Suisse. Il ne faut que quelques minutes après le décollage pour que soient exécutées des manœuvres de combat aérien exigeantes, avec des virages serrés et à hautes incidences qui mettent l’appareil et en particulier la cellule à rude épreuve. Au contraire d’autres utilisateurs, ils n’accomplissent pas de longs survols aller-retour qui, bien qu’ils génèrent un grand nombre d’heures de vol, sont toutefois moins exigeants pour l’avion que les manœuvres spécifiques au combat aérien ».

Ce seuil des 5 000 heures de vol par cellule devrait être atteint au plus tard en 2025 et la situation ne montre pas des signes d’accalmie. En effet, avec la baisse du nombre de machines disponibles, cela va engendrer une hausse du nombre d’heures de vol sur les dernières cellules encore en service. Par ailleurs, les Forces aériennes suisses souhaitent arriver, petit à petit, à une permanence opérationnelle active 7j/7 et 365j/an, comme en France. Ces sollicitations vont encore exiger des heures de vol aux Hornet encore opérationnels.

Il est toutefois envisageable d’augmenter le potentiel à 6 000 heures de vol afin de les faire tenir jusqu’en 2030 lors de la livraison totale de la flotte du nouvel avion de combat. Cette possibilité est évaluée à 450 millions de francs suisses. Pour permettre cette augmentation de la durée de vie des cellules, le rapport retient trois mesures principales :

  • Assainissement de la structure : 80 points ont été identifiés et doivent être analysés et renforcés si besoin.
  • Remplacement d’éléments en fin de vie après 2025 : Cela comprend les missiles air-air à guidage radar AIM-120B AMRAAM, les simulateurs et les systèmes de planification des missions. Concernant les missiles, un tiers sont à remplacer, tandis que les simulateurs et les systèmes de planification devront être modernisés.
  • Prolongement de l’efficacité opérationnelle : Il faut pour cela remplacer le système de communication des Hornet en passant de l’actuel (2ème génération) à un nouveau de 5ème génération, acheter de nouveaux casques où les jumelles de vision nocturne sont intégrés et réaliser une mise à jour de l’avionique.
© VBS / DDPS - Un Hornet en vol dans une vallée suisse. La géographie des lieux met à rude épreuve les cellules des appareils.

© VBS / DDPS - Un Hornet en vol dans une vallée suisse. La géographie des lieux met à rude épreuve les cellules des appareils.

C. Les bases aériennes et leurs Staffel (escadrilles)

A ce stade, aucune annonce n’a été faite concernant le futur de ces escadrilles. Une partie ou la totalité peut être transformée sur le prochain avion de combat, certaines peuvent être mises en sommeil, d’autres fusionnées entre-elles… La question se pose notamment pour les escadrilles de Tiger II, dont les appareils sont mis en oeuvre par des pilotes de la milice. Ces derniers ne sont pas des pilotes professionnels dans le sens où il s’agit de leur métier premier. Ils sont appelés à voler au cours de l’année, à effectuer leurs heures de vol, mais ils exercent également un métier dans le civil. Chez les escadrilles de Hornet, la donne est tout autre puisqu’en raison de la complexité de mise en oeuvre de l’appareil, les pilotes sont tous des professionnels de carrière et n’ont pour métier que celui de pilote de chasse. Enfin, la question reste également posée pour les bases aériennes, à savoir si elles vont toutes être maintenues, si certaines peuvent être fermées ou du moins voir disparaître leur activité « chasse ».

© Bibliothèque de la place Guisan - Un Mirage III RS en vol au-dessus des Alpes suisses.

© Bibliothèque de la place Guisan - Un Mirage III RS en vol au-dessus des Alpes suisses.

D. Les lacunes capacitaires des Forces aériennes

Si certaines capacités des compétiteurs seront laissées de côté (frappes en profondeur, par exemple), pour la Suisse cette compétition et l’arrivée d’un nouvel avion de combat sera la possibilité de retrouver des capacités perdues au cours des dernières décennies avec le retrait de précédents appareils.

  • Reconnaissance :

Depuis le retrait des derniers Mirage IIIRS (Reconnaissance Suisse) en 2003, la Suisse a perdu toute capacité de reconnaissance depuis les airs avec des avions de combat. Aujourd’hui, ces missions sont assurées en partie mais pas en totalité par d’autres vecteurs aériens.

En premier lieu on retrouve le Super Puma, désigné localement TH06 et avec un système FLIR (Forward Looking Infrared). Ces hélicoptères peuvent embarquer une boule optronique, montée sur le côté de l’appareil, qui permet de réaliser des missions au profit du Réseau national de sécurité, Recherche et sauvetage (SAR), surveillance des frontières, soutien aux forces de police et observation des événements naturels et climatiques. La Suisse dispose de quatre systèmes FLIR, dont un qui est équipé en permanence dans le cadre des alertes SAR. Les boules détenues par les Forces aériennes sont capables d’opérer sur une zone, de jour comme de nuit, de capter des images infrarouges, couplées à des capteurs électro-optiques et d’imagerie. Ces images à haute résolution peuvent être transférées en direct aux forces armées ou de police qui se trouvent au sol.

© VBS / DDPS - Un AS.332M1 Super Puma des Forces aériennes suisses.

© VBS / DDPS - Un AS.332M1 Super Puma des Forces aériennes suisses.

En second temps, les Forces disposent également de drones de reconnaissance (ADS), dont les ADS 95 Ranger et les ADS 15 (ou Hermes 900). Les premiers ont été acquis par la Suisse en 2001 et une quinzaine de machines sont encore en service. Avec une vitesse de croisière de 90km/h, l’ADS 95 a une autonomie de vol d’environ 4 heures, un rayon de 100km et un plafond de 5 500m. Ces drones disposent d’une boule optronique qui fonctionne de jour comme de nuit, avec une voie TV et FLIR, ils peuvent effectuer du guidage laser, emporter un radar à synthèse d’ouverture et mener des missions COMINT et ELINT. En juin 2014, la Suisse a acheté le drone Hermes 900 d’Elbit Systems (désigné localement ADS 15) pour remplacer les ADS 95. Six machines ont été commandées et doivent intégrer les Forces suisses cette année. Ce dernier possède une vitesse de croisière de 115km/h, un plafond de 9 000m, une endurance de 36 heures et un rayon d’action de 2 000km.

Enfin, la Suisse complète ses dossiers de renseignement avec de l’imagerie satellite obtenue en coopération avec l'Office fédéral de topographie Swisstopo.

Toutefois, si l’ensemble de ces vecteurs aériens se complètent, ils ne remplacent pas les capacités qu’offrent des avions de combat en matière de reconnaissance. Chez les hélicoptères et les drones, on retrouve de nombreuses problématiques comme celle de survivabilité dans un espace aérien contesté, de la vitesse de travail qui est inférieure à celle d’un avion de combat, de la couverture de zone moins vaste et d’un rayon d’action moins important. Aujourd’hui, la Suisse souhaite acquérir des capteurs de reconnaissance qui soient « robustes » et capables d’opérer « à toutes les altitudes et dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres depuis leur base de départ ».

© Bibliothèque de la place Guisan - Un Hawker Hunter suisse, spécialisé dans les missions air-sol.

© Bibliothèque de la place Guisan - Un Hawker Hunter suisse, spécialisé dans les missions air-sol.

  • Missions air-sol :

Depuis 1994, avec le retrait des derniers Hawker Hunter, les Forces aériennes suisses ont perdu la quasi-totalité du spectre des missions air-sol qu’elles pouvaient assurer. Seule la mission air-sol au canon a été conservée, mais son efficacité reste limitée voire inutile dans des missions où les objectifs à frapper sont durcis, vastes, de grandes ampleurs et protégés par des systèmes sol-air. Les autres missions, comme celle d’Air Interdiction (frappe aérienne sur des objectifs planifiés) ou de Close air support (CAS, appui aérien rapproché) ont été délaissées. Cette raison s’explique par le fait que les F-5E/F Tiger II sont, entre autres, dépassés technologiquement pour pouvoir mettre en oeuvre des équipements actuels, et que les Hornet ont été acquis pour opérer dans un contexte air-air exclusivement.

En Suisse aujourd’hui, les missions d’appui au profit des troupes au sol sont assurées par l’artillerie. Mais son efficacité reste limitée en raison de sa portée parfois restreinte, d’une liberté de déplacement sujette aux aléas de la guerre (routes détruites, exposition aux frappes ennemies…) et de la géographie du pays (collines, vallées, cols, montagnes…) qui est susceptible de gêner les tirs.

Le rapport du groupe d’experts suisses sur le prochain avion de combat explique que « les Forces aériennes doivent être en mesure de combattre des cibles au sol qui se trouvent hors de portée de l’artillerie et en dehors du secteur d’engagement des propres troupes au sol ». C’est donc une capacité des missions d’Air Interdiction que la Suisse souhaite retrouver ici. « Grâce à un feu précis depuis les airs, il s’agit d’empêcher un adversaire de pouvoir engager son matériel et son personnel, avant tout contact direct avec les propres troupes (interdiction aérienne) », précise le rapport. Il est également ajouté « qu’en cas de besoin, ces mêmes capacités permettent également de combattre d’autres cibles clés, comme par exemple des infrastructures logistiques et de conduite adverses, ou des systèmes clés, tels que des véhicules de commandement ».

Toutefois, le rapport note que la Suisse ne nécessite pas de retrouver ses acquis en matière d’appui aérien rapproché ou de frappe aérienne dans la profondeur. Pour le CAS, les experts affirment que ces missions sont possibles « sous réserve de l’existence d’une organisation appropriée au sein » des unités terrestres. « La mise en place d’une telle organisation, très consommatrice en ressources, n’est pas d’actualité pour l’instant », affirme-t-il. Enfin, « le développement de capacités de défense aérienne offensive, qui permettent de combattre le potentiel de guerre aérienne adverse dans la profondeur, n’est pas prévu », peut-on lire dans ce document. Sont donc exclus ici les missiles de croisière air-sol, comme le SCALP-EG qui équipe le Rafale.