Il y a trois mois, du 22 au 26 février 2016, deux MC-130J Super Hercules du 352nd Special Operations Wing de l'US Air Force s'étaient rendus sur la base aérienne 120 de Cazaux, aux côtés des Caracal et des aviateurs de l'Escadron d'Hélicoptères 1/67 «Pyrénées», afin de participer à une «campagne de ravitaillement en vol pour l’entraînement, la formation et la qualification de ses équipages à cette procédure de jour comme de nuit», comme l'expliquait alors l'Armée de l'Air.
Outre la qualification de jour, qui était déjà acquise par un certain nombre de pilotes, et utilisée quelques fois dans l'immensité désertique de la bande sahélo-saharienne, cette campagne de ravitaillement a permis de qualifier la majorité des pilotes de combat opérationnel de l’unité au ravitaillement en vol de nuit avec l'utilisation des Jumelles de Vision Nocturne (JVN).
Cette nouvelle capacité, dont l'Armée de l'Air française est la seule à la détenir en Europe, est désormais éprouvée dans le cadre de missions opérationnelles.
En effet, comme le révèle un communiqué de presse de l'Etat-Major des Armées (EMA) publié le mardi 07 juin 2016, après une série de missions «d’appui au profit des troupes au sol, et de reconnaissance ou de sécurisation d’itinéraires» au Mali, notamment au profit de la MINUSMA, les deux Caracal engagés au Mali ont quitté la région de Gao afin de rentrer sur leur base aérienne, à N'Djamena, au Tchad.
© JL Brunet / Armée de l'Air - Un Caracal du «Pyrénées» déployé au Tchad s'entraîne au ravitaillement en vol avec un KC-130J de l'USAF.
«L’étendue de la zone d’action a contraint le détachement aéromobile à effectuer de nombreux ravitaillements en vol y compris de nuit comme le 24 mai, lors de son retour sur N'Djamena», explique l'EMA.
Bien que formés et qualifiés à ce type de mission, la réalisation de ces manoeuvres par les pilotes est toujours très délicate en raison de plusieurs facteurs. Outre le fait qu'il s'agisse ici d'un ravitaillement en vol de nuit, donc sous JVN et avec des distances qui peuvent être faussées, l'affaire a été rendue complexe en raison de la «visibilité [qui] était dégradée par le sable en suspension dans l’atmosphère».
Toutefois, notamment parce qu'il s'agissait ici d'un vol de nuit, «les températures clémentes ont permis une capacité d’emport maximale» des réservoirs, ce qui permettait d'avoir une endurance plus importante et limitait les ravitaillements en vol jusqu'à la destination finale.
De son côté, l'Armée de l'Air précise qu'après le décollage, les deux Caracal du Commandement des Opérations Spéciales (COS) «atteignent rapidement l’altitude de croisière, à laquelle ils seront inaudibles et hors de portée des tirs ennemis».
Par la suite, pendant le vol, «arrivés au premier point de ravitaillement», les deux appareils français sont rejoints par un MC-130J Commando II de l'US Air Force, et utilisés par les Etats-Unis pour effectuer des ravitaillements en vol et mener des opérations spéciales sous le commandement de l'US Air Force Special Operations Command (AFSOC).
Après la rejointe de l''appareil de transport «qui a décollé quelques heures plus tôt d’une autre base», sans pour autant que celle-ci ne soit précisée, «tous feus éteints, les pilotes sous jumelles de vision nocturne et guidés par leurs soutiers se positionnent de chaque côté de l’Hercules».
La manoeuvre est particulièrement périlleuse en raison des turbulences provoquées par les turbopropulseurs du MC-130J, mais aussi et surtout car les appareils évoluent aux limites de leurs domaines de vol. En effet, le Caracal va voler aux alentours de 220km/h, soit presque à son maximum, alors que le MC-130J va tomber sa vitesse afin de pouvoir rester à proximité des l'hélicoptères, ce qui l'oblige à flirter avec sa vitesse de décrochage, sans jamais toutefois y parvenir.
Après une connexion qui se fait du premier coup et un ravitaillement complet, chaque appareil continue leur mission, avant de se retrouver quelques heures plus tard pour un second ravitaillement en vol.
L'Armée de l'Air ajoute et conclut «qu'en une nuit, les deux Caracal ont parcouru plus de 2000 km pour réaliser en toute discrétion leur déploiement, grâce au ravitaillement en vol de nuit. Une première en France et en Europe».
© JL Brunet / Armée de l'Air - Janvier 2016, entraînement au ravitaillement en vol au-dessus du Tchad avec un KC-130J de l'USAF.
L'acquisition et l'utilisation en opération de cette nouvelle capacité est un véritablement changement au sein de l'Armée de l'Air française, et du Commandement des Opérations Spéciales (COS), dont dépend l'EH 1/67 «Pyrénées».
Seule force aérienne à être qualifiée à ce type de mission en Europe, et la seconde dans le monde, juste après les Etats-Unis (qui en sont capables depuis plus de quarante ans), «l'ouverture de ce nouveau domaine constitue un enjeu de taille pour les équipages du «Pyrénées», confiait l'Armée de l'Air dans un précédant communiqué.
Dorénavant, cette capacité permet d'être mise en service au profit des missions CSAR (Combat Search And Rescue - Recherche et Sauvetage au Combat, en français), qui nécessitent parfois de pénétrer en profondeur au sein du territoire ennemi sur plusieurs kilomètres, comme cela peut-être le cas en Irak et en Syrie, dans la bande sahélo-saharienne, mais aussi dans des pays où les opérations sont un peu plus discrètes...
Cette capacité va aussi permettre de pouvoir modifier la façon dont étaient menées les opérations spéciales, notamment au Sahel, dans le cadre de l'opération Barkhane. La zone des opérations, qui est comparable, en taille, à l'Europe (des côtes ouest françaises jusqu'aux pays de l'est), pourra être couverte beaucoup plus efficacement lors de missions spéciales.
Actuellement, et sans ravitaillement en vol, un Caracal dispose d'une autonomie de quatre heures avec ses réservoirs internes. Les hélicoptères et leurs pilotes étaient alors obligés, si ils devaient continuer encore sur plusieurs kilomètres, de se poser, parfois dans des conditions difficiles (vent, chaleur, poussière), et de se ravitailler auprès d'un camion citerne du Service des Essences des Armées.
Cette manoeuvre, dite de «posé poussière», posait des problèmes de logistique, puisqu'il fallait acheminer un convoi sur zone, parfois sur plusieurs kilomètres, les équipages et les militaires pouvaient être également exposés aux tirs adversaires, les hélicos souffraient beaucoup de la poussière lors des atterrissages et des décollages, et l'effet de surprise, nécessaire pour les missions des forces spéciales, pouvait aussi être perdu.
La possibilité de se ravitailler en vol la nuit, comme le jour, évite donc tous ces précédents problèmes. Le vol de nuit confère aussi un autre avantage dans des régions comme dans le Sahel. La nuit, les températures étant plus fraîches et la densité de l'air moins importante, cela permet au Caracal d'emporter des charges plus importantes (commandos, matériel, kérosène).
Enfin, dans la nuit noire du désert, il est aussi beaucoup plus difficile de voir arriver les commandos, ce qui confère un effet de surprise non-négligeable, qui est parfois la clef de la réussite d'une mission.