Le Japon dispose d’une industrie de défense qu’il convient de ne pas négliger. Outre les avions de combat produits localement, Tokyo et sa Japan Maritime Self-Defense Force disposent de bâtiments de combat et de soutien, bien qu'équipés de systèmes d’armes américains, tout à fait remarquables. A tel point que l'Australie pourrait acquérir des sous-marins japonais afin de remplacer ces vieillissants sous-marins de la classe Collins.
Du côté de son aviation, avec la Japan Air Self-Defense Force, outre les essais dans les avions de combat comme avec le F-2A «Viper», Tokyo se singularise par la mise au point de machines ambitieuses comme :
• l'avion de transport Kawasaki C2, toujours en développement, et qui pourrait devenir un concurrent direct de l'A400M lorsqu'il entrera en service,
• l'avion de patrouille maritime Kawasaki P-1, actuellement en service, et qui est un équivalent quadri-réacteur du P-8 Poseidon, notamment utilisé par l'US Navy,
• le Shinmaiwa US-2, en service, qui est un hydravion amphibie de sauvetage de 47 tonnes, plus gros que le fameux Beriev Be-200 russe.
Cette machine serait sur le point d’être exportée, et mérite un coup d’oeil détaillé.
Tout le monde, surtout en France, connaît le CL-415 «Canadair» qui, aux couleurs de la Sécurité Civile, écope en mer et dans les lacs pour combattre les incendies durant la saison estivale. Le Canadair, dont la version d’origine, le CL-215 a effectué son premier vol en 1967, est un bel avion amphibie de presque 20 tonnes, bombardier d’eau, mais également avion de recherche et de sauvetage.
Mais qui connait le Shinmeiwa US-1 qui s’envole en même temps et qui sera produit à 45 exemplaires, répartis entre la version de lutte anti sous-marine et la version recherche et sauvetage ? C’est trois fois moins que le CL-415, mais cela reste respectable pour une machine unique, et bien plus grosse.
Le Shinmeiwa US-1, qui est un hydravion à capacité STOL (Avion à décollage et atterrissage court), dispose de cinq moteurs, dont quatre turbopropulseurs T64 d’environ 3500 CV, entraînant quatre hélices soufflant la majorité de l’aile, et d'un cinquième moteur qui est une turbine de Sea King, et qui délivre de l’air comprimé pour le dispositif de contrôle de la couche limite.
Cette capacité STOL du Shinmeiwa US-1 s'exprime en quelques chiffres : Entre 300 et 400 mètres environ, l'appareil est capable de décoller ou d'amerrir, et sa vitesse de décrochage est de moins de 50kt.
Cet hydravion est notamment capable de se poser en mer avec des vagues de 3 mètres pour effectuer sa mission de recherche et de sauvetage. Ses capacités permettront aux aviateurs qui opèrent sur cet appareil de sauver plus de 900 personnes depuis sa mise en service.
Ni le CL-415, qui limité à des vagues de 1,8 mètres, ni le Be-200, qui supporte des vagues entre 1,2 et 1,3 mètres au décollage, ne sont aussi marins.
Pour la petite histoire, le Shinmeiwa US-1 a failli être exporté comme bombardier d’eau pour protéger les forêts de la Colombie britannique, dans une version transportant seize tonnes d’eau larguées à des vitesse inférieures à 80kt. Effet coup de poing garanti !
Mais la concurrence locale et la difficulté de certifier cette machine au Canada, étant donné qu'il s'agit surtout d'une machine militaire, fit capoter l’affaire et les gros hydravions Martin Mars ont dû rempiler.
Ce cocktail unique a été décliné en Shinmaiwa US-2, qui est une version modernisée, avec un cockpit digital, des commandes de vol électriques pour améliorer le pilotage dans les phases de décollage et d’atterrissage, l’introduction de la pressurisation (croisière à 6000m), des allégements de la masse globale, etc..
En outre, cinq nouveaux moteurs ont été intégrés. Il s'agit de quatre principaux RR/Allison AE2100J de 4600CV, similaires aux quatre moteurs des C-130J Super Hercules, et un cinquième moteur pour le soufflage de la couche limite, le LTEC T800, que l’on retrouve sur l'hélicoptère Super Lynx.
Les missions affectées à cette machine sont nombreuses et variées, et elles tombent souvent dans le domaine du service public
• Recherche et sauvetage (SAR, capacité supérieure à trente personnes),
• Évacuation sanitaires (CASEVAC, capacité supérieure à douze civières),
• Humanitaire dont transport de fret et envoi des premier secours,
• Surveillance de zones économiques (y compris lutte contre la piraterie),
• Surveillance des voies maritimes (Sea Lines of Communication : SLOC),
• Reconnaissance (Maritime Domain Awareness),
Sur une «mission type», l’US-2 décolle de sa base comme un avion, vole en croisière à 480 km/h, se pose sur l'eau lors de son arrivée sur zone, par exemple à côté d’une épave ou d’une île, puis repart vers l’aéroport le plus proche desservant un hôpital
Entre le décollage de la base de départ et le point d’arrivée final, il peut y avoir jusqu'à 1 900 kilomètres, soit un peu plus de 1 000Nm. Et même à cette distance, le temps de patrouille reste respectable, puisqu'il est d'environ deux heures.
A titre de comparaison, et toute proportion gardée, un hélicoptère H225, c’est moins de 500/600km de rayon, et un V-22 «Osprey», c’est environ 1 100km avec quinze minutes sur site et une grosse vingtaine de passagers.
La charge utile, difficile à estimer, est probablement de 10 tonnes. En version sauvetage, c’est entre vingt et trente-six passagers qui peuvent être embarqués, et quinze tonnes d’eau pour la version bombardier d’eau.
Enfin l’avion étant STOL, tout au moins sur l’eau, il n’a besoin que de 280 mètres pour décoller et de 330 mètres pour amerrir, avec une masse maximum de 43 tonnes, et avec des creux de 3 mètres.
Pour les îles de tailles réduite, il y a parfois la possibilité de se mettre à l’abri des vagues en choisissant le bon côté, et compte tenu de la faible longueur nécessaire, cela ouvre également la possibilité d'opérer depuis certains fleuves et plans d’eau.
Depuis 2012, l’Inde n’a cessé de manifester son intérêt pour cette machine, et en particulier pour pouvoir gérer efficacement certaines îles éloignées de son territoire, et qui occupent une position stratégique militairement, géographiquement, et économiquement.
Les îles Nicobar et Andaman, situées au large de la Birmanie et de la Thaïlande, sont sous l'autorité de Delhi. C’est un archipel qui s’étend sur 900 kilomètres du Nord au Sud, et à environ à 1 300km des côtes indiennes.
Sur ces îles, il n'y aurait que quatre pistes d’aviation seulement pour une trentaine d’iles, qui ont un débouché direct sur l’importante route maritime du détroit de Malacca. De nombreux petits îlots et îles sont souvent revendiqués par les différents pays de la région, et il faut notamment garder en mémoire les tensions en mer de Chine méridionale entre le Japon, le Vietnam, les Philippines, et la Chine pour le contrôle des îles Senkaku, sous contrôle japonais.
Sur un plan non militaire, il faut également savoir que les iles Nicobar et Andaman ont énormément souffert du tsunami en 2004, qui a ravagé le secteur, et qui tentent de se reconstruire tant bien que mal.
Ces îles seraient alors idéalement situées puisque l’US-2 serait dans ce secteur dans son domaine de prédilection. La carte ci-dessous présente les cercles de 500Nm et de 1 000Nm autour de Port Blair, qui est l'aéroport civil desservant l'île d'Andaman.
Les discussions entre l'Inde et le Japon sont engagées depuis 2011 déjà. En 2013, de nombreux médias locaux indiens évoquaient l'achat de quinze appareils de ce type. Un an plus tard, en 2014, certains médias spécialisés, comme Flight Global, parlaient alors d’une commande dix-huit appareils à livrer sous deux à quatre ans.
Simplement, et on retrouve ici certains problèmes rencontrés eux-aussi dans le contrat Rafale pour la Force Aérienne Indienne : Comment introduire le «Make in India» sur une machine fabriquée au compte goutte au Japon ? (La comparaison ici avec le Rafale ne se fait pas sur le nombre d'appareils à produire, mais plutôt quels équipements indiens introduire sur les chasseurs, et quelle industrie pour l'assembler).
Finalement début 2016, les rumeurs font état de l'achat de six avions dans une première phase, qui s'étalerait entre 2017 et 2022, et de six autres appareils pour l’Indian Navy suivant les différentes modalités conclues dans le premier contrat. Les Gardes-Côtes indiens semblent aussi intéressés par trois exemplaires également.
Cependant le Ministre indien de la Défense n'est pas totalement favorable à cet achat et l’intérêt de développer localement cette compétence d'un hydravion de ce gabarit est douteux, notamment pour des raisons de maîtrise de coûts.
Mais outre l'Inde, l'Indonésie pourrait aussi être intéressée par l'achat de plusieurs US-2, comme cela a pu être écrit par plusieurs médias locaux. Cette vente impliquerait également un assemblage dans des usines indonésiennes afin de faire profiter au maximum les industries du pays.
Comme l'Inde, et comme cela a été dit plus haut, la Chine doit elle aussi faire face à des tensions avec les pays voisins dans la région pour le contrôle de certaines îles, qui renfermeraient des hydrocarbures dans leur sous-sol et une quantité importante de poissons pour les pêcheurs.
Pour verrouiller la mer de Chine et pouvoir intervenir n'importe où et à n'importe quel moment, les industries chinoises se sont lancées dans la conception et la construction du Jiaolong AG600, qui serait le plus gros avion amphibie jamais développé.
Le premier appareil, qui serait construit dans les installations de Zhuhai, dans la province de Guangdong, devrait faire son premier vol dans le courant du milieu de l'année 2016.
Des sources gouvernementales chinoises avaient alors indiqué que dix-sept appareils pourraient être commandés, et que la question de son exportation et aussi prise en compte dans la conception de cet appareil, qui serait adapté à ce type de marché.