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Témoignage : Des Hawker Hunter face aux bâtiments de la Marine Nationale

Témoignage : Des Hawker Hunter face aux bâtiments de la Marine Nationale

Au jeu du cowboy et des indiens Apache, la Marine Nationale s’entraîne...

Préambule :

Passionné d’aviation militaire depuis longtemps, ma vue fut un obstacle incontournable pour monter dans des avions de chasse. Qu’à cela ne tienne, je gravite dans leur entourage direct et adore les photographier. Du coup, dès que je peux essayer de monter dans un avion pour photographier un ailier, je suis volontaire.

En 1996, j’avais déjà eu la chance de pouvoir découvrir Apache Aviation en faisant un vol en patrouille sur PC-7.

En arrivant dans le sud de la France 15 ans plus tard, je m’imprègne en détail des différentes structures aéronautiques qui animent la région : bases aériennes Air, Terre et Marine, constructeurs, sociétés de services, etc.

A cette occasion, je découvre la partie « chasse » d’Apache Aviation installée sur la base aérienne d’Istres. Ce détachement constitue en fait la partie CATS (Combat Air Training Support) qu’Apache a créé en 2003 pour réaliser au profit des Forces des prestations externalisées de soutien à l'entraînement opérationnel tactique. Originalité de la mission : elle se fait sur Hawker Hunter, vénérable avion s’il en est puisqu’il date quand-même des années 50. Autrement dit, voler en patrouille sur un tel appareil serait quasi mythique !

Avec un peu de patience et de persévérance, ma chance arrive quelques mois plus tard...

Témoignage : Des Hawker Hunter face aux bâtiments de la Marine Nationale

Briefing :

Rendez-vous est pris pour un matin à 10h45. La rencontre commence par l’incontournable briefing sécurité. Mon enthousiasme m’a fait occulter toute cette partie et je découvre le détail des procédures d’évacuation de l’avion en cas d’urgence. A force d’entendre uniquement parler de siège éjectable 0-0, on finit par oublier qu’il y a eu d’autres étapes avant. En l’occurrence, sur Hunter, les sièges éjectables sont de type 0-90 : éjection possible à l’altitude 0 à partir de 90 nœuds.

Remarque amusante de mon pilote : çà ne veut pas dire que le siège ne marchera pas, çà veut simplement dire que tu l’utilises hors de son domaine normal et que l’ouverture du parachute risque de ne pas être totale (si, déjà, il s’ouvre…). Cà veut aussi dire que, si quelque chose cloche entre 0 et 90 nœuds lors du décollage, c’est pas gagné !

Mais le meilleur moment du briefing reste quand-même la description de l’évacuation de l’avion en mode dégradé : « Si le siège refuse de fonctionner, il faut passer à l’évacuation manuelle de l’avion. Il y a une poignée jaune et noire sur la gauche de ton siège. Sur mon ordre, tu y mettras la main sans tirer dessus. J’engagerai l’avion dans une montée au cours de laquelle je larguerai la verrière, puis on basculera sur le dos. A ce moment-là, je te dirai de tirer la poignée. Tu seras alors désolidarisé de ton siège et tu quitteras l’avion par gravité. L’inconvénient, c’est que là où la séquence d’ouverture du parachute est automatique en mode normal, cette fois c’est à toi d’ouvrir ton parachute. Donc il faut rester un peu lucide ! ». Là, franchement, j’adore !

Ceci dit, habitué du parachutisme sportif, cela ressemble aux briefings donnés aux débutants. Donc je me concentre pour retenir les différents cas possible et les actions à mener.

Après 40 minutes d’explications, je suis relâché pour le déjeuner. Comment dire ? j’ai plus très faim… L’échéance se rapproche, et je fanfaronne un peu moins. Ceci dit, je l’ai voulu, alors go ! Au programme, déjeuner bien neutre et pas trop lourd. Grand bien m’en fera, je ne vous fais pas un dessin…

11h45 : Rendez-vous pour s’équiper et préparer le décollage à 12h15.

Je passe d’abord une simple combinaison, puis des chaussures d’où le minimum de chose dépasse, et l’incontournable Mae West. Si nous nous éjectons et que nous tombons à l’eau (que nous survolerons pendant 90% de notre vol), elle se gonflera pour nous permettre de flotter et d’attendre les secours.

A midi, nous nous dirigeons vers les avions où un mécano d’origine canadienne – à l’image de l’immatriculation des appareils – va m’expliquer comment me brêler. Les sangles de rappels des tibias sont les premières à être fixées, puis viennent les sangles d’entrejambe, de cuisses et les épaulières sur la fermeture 5 points habituelles des avions. Le casque, le cordon d’air, et le câble radio viennent clore ce cérémonial à l’issue duquel on fait corps avec la machine. Les mouvements sont réduits au strict minimum, et je réalise combien faire des photos en l’air ne va pas être évident. Ce commentaire me vaudra d’ailleurs une réponse amusée de mon mécano : « C’est sûr que si c’est pour faire des photos, faut plutôt choisir un Cessna 150, ce sera plus facile ! » avec l’accent qui donne toute son ironie à cette réponse pleine de bon sens !

Notre mission sera une mission de plastronnage au profit de bâtiments de la Marine Nationale. En effet, plusieurs vaisseaux sont engagés dans l’exercice Gabian. Celui-ci, préparé et conduit quatre fois par an, consiste en une période de mer de quelques jours pour permettre aux unités basées à Toulon de maintenir leurs aptitudes à la navigation, à la manœuvre et aux risques usuels sur un navire militaire : ravitaillement à la mer, lutte contre les navires et les avions, tirs contre cibles de surface et aériennes, simulation de voie d’eau ou d’incendie…

En l’occurrence, nous représenterons la menace avion. La mission se fera à 2 appareils, un Hunter monoplace occupé par le leader, et le Hunter biplace dans lequel je suis installé. Pendant que mon pilote s’installe à sa place, je m’entraîne comme je peux à photographier notre leader dont le réacteur a déjà démarré. Le saucissonnage sur le siège est efficace et les mouvements sont réellement limités.

Témoignage : Des Hawker Hunter face aux bâtiments de la Marine Nationale

12h10 : Fermeture de la verrière et début de roulage.


Leader : « Apache Alpha pour Istres Sol. Deux Hunter au parking Marine pour le roulage. »

Istres Sol : « Apache Alpha, roulez, rappelez avant le [taxiway] principal »

Franck, mon pilote, m’explique que le Hunter n’a pas de roulette directrice. Il se conduit comme un char. Il faut actionner le palonnier du côté où on veut tourner et freiner avec une poignée située sur le manche. Vu de derrière, le roulage de notre leader ressemble à un bateau ivre. Plutôt qu’un roulage bien centré, il est clair qu’il est finalement plus raisonnable de faire un nombre de correction limité.

Outre les formalités radios du roulage, Manu – le leader – annonce que les conditions météo autorisent un décollage en PS (patrouille serrée) comme cela avait été envisagé pendant le briefing. En voilà autant pour le plaisir du photographe embarqué.

A tout hasard, je demande s’il serait possible d’intervertir les rôles pour pouvoir avoir le monoplace dans notre aile droite au moment du décollage et faire de plus belles photos.

Malheureusement, c’est impossible pour deux raisons : De nombreux accidents aériens ont montré qu’un vol briefé et modifié à la dernière minute présente un risque d’accident significativement plus élevé. En outre, la configuration biplace côte à côte de notre avion (le pilote étant à gauche) empêcherait mon pilote de voir l’autre appareil et interdit donc cette forme de décollage. Priorité à la sécurité, les photos attendront qu’on soit en l’air.

Témoignage : Des Hawker Hunter face aux bâtiments de la Marine Nationale

12h15 : Plein gaz, c’est parti pour un décollage PS, piste 15, cap au sud. A 125 nœuds, c’est la rotation rapidement suivi du décollage. Moi qui ne suis pas habitué à la PS, je trouve la proximité des deux appareils très impressionnante. J’ai l’impression que nous sommes à moins d’un mètre du leader, alors que nous sommes plutôt à 3-4 mètres.

Nous passons au-dessus du Golfe de Fos sur Mer et partons en direction de la Corse pour retrouver les bâtiments que l’on va devoir « attaquer ».

Petite séquence de vol en colonne, très proche l’un de l’autre là encore. Je m’imagine rapidement au sein de la patrouille de France avec des ailiers à droite et à gauche : c’est incroyable comme l’erreur n’est pas permise. Rien de tel que d’y être pour bien comprendre !

Pendant le transit, la patrouille est desserrée pour ne pas garder un niveau de concentration trop élevé inutilement. Du coup, mon pilote me propose de prendre le manche. L’occasion est trop belle. Piloter un chasseur, ce n’est pas beau çà ? Bon élève, je décide de m’appliquer à rester aussi stable que la partie de vol qu’on vient de faire, en restant sagement dans l’aile du leader à une distance raisonnable. A trop vouloir bien faire, je passe mon temps à corriger. L’avion danse doucement sur 2 axes. A ce rythme, je vais finir par me rendre malade tout seul. Je décide de rendre la main. C’est plus sage pour mon estomac !

Témoignage : Des Hawker Hunter face aux bâtiments de la Marine Nationale
Témoignage : Des Hawker Hunter face aux bâtiments de la Marine Nationale

A l'attaque ! :

A l’approche de la flotte, les prises de contact à la radio font vite apparaître que tout le monde se connait. Entre marins (ou anciens), le monde est petit. On salut rapidement les copains et les copines au poste de supervision à bord de la frégate Jean-Bart, puis on se concentre pour la première passe.

Nous serons Papa Cool 1 et Papa Cool 2. Nous sommes un vol un peu égaré qui se dirige droit sur la flotte, avec consignes d’être coopératifs. Les opérateurs réagissent et nous donnent les indications nécessaires pour contourner la flotte sans risque et sans porter atteinte à la bulle de protection des bâtiments de guerre.

Rapidement, nous nous repositionnons pour le seconde passe. Sensiblement identique sauf que nous ne serons plus coopératifs. C’est tout un jeu radio qui se joue, et la fin de la passe se termine par un survol de la flotte. Le superviseur nous précise que les opérateurs marins ont l’air jeune et n’ont pas eu tous les bons réflexes. On refait cette passe.

Pour le troisième scénario, il est décidé que la menace viendra de deux azimuts différents. Là encore, on finit par survoler la flotte. Au survol, les pilotes lâchent « Bomb, Bomb, Bomb» sur la fréquence.

Au jeu du cowboy et des indiens, les Apache ont gagné cette passe...

Témoignage : Des Hawker Hunter face aux bâtiments de la Marine Nationale
Témoignage : Des Hawker Hunter face aux bâtiments de la Marine Nationale

Le temps passe et le kérosène descend.

Petit point amusant d’ailleurs : nous sommes équipés de deux réservoirs externes sous les ailes et, bizarrement, la jauge de carburant ne descend pas. Une fois la question posée, j’apprendrai que celle-ci ne descend qu’à partir du moment où nous commençons à consommer le kérosène stocké dans l’avion même. Les réservoirs externes sont les premiers à être consommés mais sans que çà apparaisse.

Bref, pour le dernier scénario, c’est la guerre totale. Un agresseur vole vers la flotte au ras des flots puis largue un missile. Pour ce passage, nous nous sommes éloignés d’une trentaine de nautique. Demi-tour, nous accélérons en patrouille à 480 nœuds en descendant à 100 pieds au-dessus de l’eau. Bizarrement, j’ai senti l’accélération de l’avion, et la radiosonde est plantée sur 100 pieds, mais je ne me rends compte de rien.

Un rapide calcul a tôt fait de me montrer qu’une erreur de manche nous planterait vite fait dans l’eau. Je me retiens même de glisser à mon pilote de ne pas se louper. Je me rattrape cependant en me souvenant que c’est moi qui me suis fait peur tout seul avec mon calcul, et que lui a des heures d’expériences derrière lui.

Soudainement, le leader décroche. Il vient de larguer son missile, nous. Nous continuons donc au ras des flots jusqu’à passer par bâbord de la frégate Jean Bart. Pour le coup, avec une référence visuelle, çà défile !

Rassemblement, puis on s’oriente pour une dernière passe identique. Le backseat (c’est moi, dans le langage des pilotes) vire doucement au vert. Du coup, nous conserverons le rôle du missile et le leader le rôle de l’avion tireur. Ce dernier manœuvre plus, ce qui risquerait de me mettre au tapis de façon un peu anticipée…

A l’issue de la dernière passe, le superviseur nous remercie et nous souhaite un bon retour au bercail en profitant de nos surplus de kérosène pour survoler les différents bâtiments de la flotte.

On aperçoit le Surcouf, le BPC Mistral avec quelques hélicoptères à bord, le Jean-Bart à nouveau et d’autres que je n’identifie pas. Cette fois, c’est réglé, la succession de virages pour survoler le maximum de bateaux a raison de mon estomac.

Témoignage : Des Hawker Hunter face aux bâtiments de la Marine Nationale

Retour photos :

Beau joueur, le leader nous propose de profiter du retour pour longer la côte et faire quelques photos sympas. Sur le principe, je suis d’accord. Physiquement, çà va être plus dur. Mon cocher lui rétorque que, dans l’immédiat, on va la faire calme parce que le backseat est en mode survie ! Au moins, il a le mot pour faire sourire !

Nous profitons des derniers instants en très basse altitude pour se servir d’un porte-conteneur comme piquet de slalom. Là aussi, çà passe vite et il ne faut pas se rater. Une pensée émue pour le capitaine du MSC Fiammetta qui a dû se demander ce qu’il lui arrivait !

Témoignage : Des Hawker Hunter face aux bâtiments de la Marine Nationale

Jusqu’à présent, notre vol s’est fait entre 100 et 2000 pieds. Visiblement, les marins aiment voler bas et le retour se fera de la même façon. Nous nous orientons d’abord vers Toulon puis obliquons en logeant la côte. Les Calanques de Marseille étant interdites de survol à moins de 3000 pieds, nous passerons au large.

Très vite, nous laissons Marseille derrière nous. Le leader tente de négocier avec le contrôle aérien de pouvoir dépasser Fos sur Mer et aller vers les phares de Beauduc et de la Gacholle.

Situés en pleine Camargue, ils fournissent de fréquents fonds assez sympas pour des photos aériennes dans le secteur. Malheureusement, d’autres appareils sont déjà dans les parages et nous ne pouvons pas continuer dans cette zone.

Finalement, Manu parvient à négocier de passer au-dessus des Salins de Giraud, toujours très impressionnant de nuances de roses et de mauves du fait de la salinité de leurs eaux.

On notera les marquages concernant les "kills"... ;-)

On notera les marquages concernant les "kills"... ;-)

Témoignage : Des Hawker Hunter face aux bâtiments de la Marine Nationale

Après 1h30 de vol, l’heure du retour vers la base aérienne d’Istres sonne définitivement.

Atterrissage classique selon les standards OTAN avec un break droite au-dessus de la piste puis atterrissage. L’ouverture de la verrière pendant le roulage est un soulagement tellement j’ai l’impression qu’il fait chaud.

Retour au parking, arrêt du réacteur, puis "débrêlage" du pilote. Le temps de reprendre mes esprits et d’obtenir l’assistance d’un mécano, je descends enfin de l’avion. Je suis séché, au sens propre. Mon T-shirt et ma combinaison pèse au moins 1 ou 2 kilos de plus, tellement ils sont imprégnés de transpiration. Je n’ai pourtant fait aucun effort, et Franck est resté cool sur les facteurs de charge (nous n’avons pas dépassé les 3,5g !).

Toujours gentils, mes pilotes se montrent prévenants et me laissent tout le temps pour reprendre mes esprits. Je reste scotché pour le reste de la journée et mettrais pas mal de temps à m’en remettre.

Toujours est-il que l’expérience fût fantastique, pleine d’apprentissage et m’a permis de belles photos air-air d’un avion qu’on ne voit plus que rarement de nos jours.

Bref, le top !

Témoignage : Des Hawker Hunter face aux bâtiments de la Marine Nationale

Remerciements :

Un immense merci à Franck Pesudo, mon pilote, et Emmanuel Delin, le leader de ce vol, pour avoir accepté de m’emmener avec eux en se montrant si délicats avec le backseat.

Merci également au Sirpa Marine pour avoir accepté la diffusion de ce témoignage personnel, permettant d’illustrer l’entraînement des forces de la Marine Nationale sous un angle différent.